Stade olympique d'Athènes, samedi 20 mai 2006. Grimés en monstres de films d'horreur, les Finlandais de Lordi remportent le 51ème concours de l'Eurovision, sous les yeux ébahis de Michel Drucker et Claudy Siar, commentateurs de l'événement pour France Télévisions.
Certains de leurs propos concernant le groupe finlandais surprennent par leur partialité. D'autres choquent un grand nombre de téléspectateurs qui n'hésitent pas à manifester leur colère, dès le lendemain, par le biais d'internet.
Une pétition en ligne (
www.ipetitions.com/petition/excuses_eurovisions/signatures.html) circule, exigeant des excuses officielles de la part de France Télévisions. A ce jour, plus de 16.200 signatures ont été recueillies.
Qu'ont dit MM. Drucker et Siar ? Morceaux choisis : « Eloignez les enfants du poste, ils vont faire des cauchemars. Je n'imaginais pas les Lapons comme ça. Ils seront au zoo de Vincennes à la rentrée. » Ensuite : « La Finlande n'a jamais gagné l'Eurovision. Ce n'est pas avec ça qu'ils gagneront. » Ou encore : « Ce show fabuleux qui va être remporté par... du Hard Rock. Ha ha ha. Je vais le faire écouter à ma chienne, qui va devenir dingue. »
Avant même de participer à la grande finale, le quintette finlandais s'était déjà attiré les foudres de plusieurs groupuscules religieux conservateurs grecs. L'Union des femmes scientifiques et le Centre de coordination de l'hellénisme (cela ne s'invente pas) avaient ainsi demandé l'élimination pure et simple de Lordi.
Sacrifiant à la traditionnelle conférence de presse, le leader du groupe calme les esprits : « Un groupe de rock déguisé en monstres remporte l'Eurovision. C'est la victoire du rock et de l'ouverture d'esprit. » Pas celle des présentateurs de France Télévisions, ni de l'archevêque Christodoulos. Le lendemain, au cours de son sermon dominical, le chef de l'église orthodoxe grecque réagit à la victoire de Lordi : « Qui pouvait s'attendre à ce que notre pays et toute l'Europe accorderaient le premier prix à [un groupe] qui s'est présenté comme des monstres, comme des Satans ? Est-ce qu'on peut qualifier cela d'esthétique ? Est-ce que c'est de l'art ? » Voilà pour « l'affaire Lordi ».
En France, les réflexions de Michel Ducker et de Claudy Siar sont symptomatiques d'un environnement médiatique et d'un cortège de représentations mentales qui, presque systématiquement, dénoncent les pratiques culturelles liées au Hard Rock. Au-delà de l'aspect cocasse de cet épisode télévisuel, les réactions des animateurs de France Télévision amènent d'autres réflexions sur le Hard Rock et sur sa réception dans la société française.
L'étude de la presse, de gauche comme de droite, permet de dresser un constat édifiant. Le Hard Rock et ses dérivés (black metal, thrash metal, death metal, etc), ainsi que les amateurs de ces pratiques musicales sont régulièrement dénigrés dans les médias.
Pourtant, en France, comme dans d'autres pays (Etats-Unis, Europe du Nord), les musiciens de Hard Rock sont reconnus pour leurs qualités artistiques et leurs capacités techniques.
Le guitariste Patrick Rondat a joué avec le pianiste de jazz Michel Petrucciani, le compositeur de musiques électroniques Jean-Michel Jarre ou encore le violoniste Didier Lockwood. Au Music Academy International de Nancy (
www.maifrance.com), les étudiants amateurs de Hard Rock sont salués par leurs professeurs comme d'excellents musiciens, des bourreaux de travail qui finissent souvent parmi les meilleurs de leur promotion. Exemple : Stéfan Forte, lauréat en 1995. On ne cite pas le nombre d'intervenants issus de la scène Métal qui viennent jouer devant des étudiants ravis : Kiko Loureiro (guitariste du groupe Angra, « l'un des meilleurs musiciens brésiliens » dixit le site du MAI), Mattias Eklund (Freak Kitchen), Patrick Rondat, évidemment. Ne parlons pas des nombreuses études universitaires déjà réalisées ou en cours de réalisation, en histoire, en sociologie ou en musicologie.
Alors, pourquoi tant de haine ? Chaque semaine, des rappeurs aux textes politiquement incorrects sont invités sur les plateaux de télévision français. Les chaînes en or seraient-elles moins effrayantes que les cheveux longs ? A cette question, que répondent les directeurs de rédaction ? « Le Hard Rock, c'est ringard, ça ne vend pas, c'est has been. » Erreur ! Demandez à certains magasins de disques quel rayon rapporte le plus. Jetez un œil aux concerts, dans la capitale et en province. Metallica et Iron Maiden au Parc des Princes : 30.000 personnes. AC-DC au SDF : autant que Johnny. Citons encore Nightwish, Angra ou Stratovarius au Zénith de Paris. Plusieurs centaines de concerts sont organisés en France, chaque année. Des groupes viennent de toute l'Europe (surtout du Nord), du Canada, des Etats-Unis, du Brésil. Cela ne suffit pas à offrir la reconnaissance que mérite le Hard Rock aux dizaines de milliers de pratiquants français. Pourquoi un tel acharnement médiatique dans notre chère patrie de la tolérance et des libertés ?
Les Finlandais, eux, n'ont plus peur du Hard Rock depuis longtemps. Ils ont compris qu'il ne s'agissait que de musique, d'entertainment (divertissement, en anglais) comme l'a expliqué Mr. Lordi lors de la conférence de presse. Madame la Présidente de Finlande a donc accueilli ses poulains en héros (du Kalevala), embrassant ces monstres (de carton pâte) sur les deux joues. Elle en rigole encore. Tarja Halonen a même offert aux vainqueurs une place à leur nom dans leur ville natale de Rovaniemi. 70.000 personnes se sont déplacées à Helsinki pour fêter la victoire de Lordi à l'Eurovision.
D'une manière générale, les groupes de Métal squattent régulièrement les classements des meilleures ventes de disques. Des formations très connues comme Nightwish, HIM, Stratovarius, Amorphis, Sentenced ou encore Children Of Bodom sont des stars dans leur pays et jouent dans le monde entier. En France aussi, évidemment. Le Fimic (ou Finnish Music Information Centre,
www.fimic.fi) édite régulièrement des compilations afin de diffuser les musiques finlandaises. Les groupes de Métal sont en bonne position sur ces outils de promotion.
Les réactions anti-Hard Rock démontrent une réelle méconnaissance des imaginaires liés à ce style musical. Le satanisme ? En leur temps, Led Zeppelin, AC-DC, Black Sabbath ont été cloués au pilori pour leurs supposées déviances morales. Aujourd'hui encore, on entend beaucoup de choses sur le satanisme. Quel rapport avec le Métal ? Certes, quelques jeunes en perdition se sont parfois attaqués à des cimetières. Pourquoi une communauté de plusieurs dizaines de millions de personnes dans le monde devrait-elle souffrir des conséquences de quelques écervelés ? Les footballeurs sont-il tous des fascistes parce l'un d'entre eux salue à la manière de Mussolini ?
Dans le Métal, tout est question de surenchère. C'est à celui qui jouera le plus vite. Souvent à celui qui aura l'attitude la plus provocante. Pour autant, les textes teintés de satanisme ne doivent pas être pris au premier degré. Les gamins qui écoutent ce style le savent. Leurs parents aussi, désormais. Pourquoi les médias français n'arrivent-ils pas à intégrer cette réalité ? Lordi n'est évidemment pas un groupe sataniste. Il évolue simplement dans un imaginaire influencé par le cinéma et la littérature horrifiques. Des produits culturels dont les jeunes (et les moins jeunes) raffolent, et qui n'ont jamais suscité autant de polémiques.
Les Finlandais ont fêté Lordi et le Hard Rock. Pourquoi les Français ne pourraient-ils pas en faire autant ?
source :
www.info-finlande.fr